Si vous avez un proche qui commence à perdre en autonomie, vous pouvez être confronté à la question de la gestion de ses biens et de ses décisions. Dans ce cas, l’habilitation familiale peut sembler une solution pratique et rapide, puisqu’elle vous permet d’agir pour lui sans recourir à une tutelle ou une curatelle complète. Mais cette simplicité apparente cache des limites et des risques qu’il est important de connaître avant de vous engager. Voici les principaux inconvénients de l’habilitation familiale.

1. Une procédure souple, mais moins encadrée que la tutelle ou la curatelle

Par définition de l’habilitation familiale, on entend une mesure légale permettant à un proche d’une personne vulnérable de l’assister ou de la représenter pour certains actes de la vie civile, comme la gestion de son patrimoine, ses démarches administratives ou des prises de décisions importantes, sans avoir recours à une tutelle ou une curatelle complète.

L’habilitation familiale séduit par sa procédure relativement simple :

  • Contrôle médical réduit : un simple certificat médical suffit pour ouvrir la mesure.
  • Peu de suivi judiciaire : le juge n’intervient qu’en cas de conflit ou de contestation.
  • Gestion autonome : la famille administre seule les affaires du proche, sans rendre de comptes réguliers.

Cependant, cette simplicité a un revers : elle offre moins de garanties de protection qu’une tutelle ou une curatelle. Elle peut exposer à des dérives si la confiance familiale est fragile ou si la situation se complique.

certificat médical circonstancié pour une demande d'habilitation familiale

2. Des risques d’abus

L’habilitation familiale repose avant tout sur la confiance envers le proche habilité, sans contrôle régulier du juge. Cette autonomie présente plusieurs limites :

  • Risques financiers : les comptes de gestion ne sont pas vérifiés chaque année. Les abus ou erreurs ne sont souvent détectés qu’au moment du décès de la personne protégée, lorsque les héritiers consultent l’historique des dépenses.
  • Décisions importantes : certaines décisions, comme un placement financier ou un achat, peuvent être prises sans consultation judiciaire. Cela peut poser problème si la personne protégée n’est pas suffisamment impliquée dans les choix la concernant.
  • Protection limitée : contrairement à la tutelle ou à la curatelle, le juge n’agit pas comme « garde-fou » au quotidien. Seules certaines opérations majeures, comme la vente d’un bien immobilier ou une donation, nécessitent encore son autorisation.

La personne habilitée doit faire preuve d’une grande écoute, de pédagogie et d’une disponibilité totale, et doit être de confiance.

3. Des contours et une mise en œuvre parfois flous

Bien que l’habilitation familiale existe depuis plusieurs années (janvier 2016), elle reste encore mal connue, y compris des professionnels : les agents bancaires, les services fiscaux ou les compagnies d’assurance ignorent parfois comment elle fonctionne réellement.

Le problème vient aussi du flou juridique qui entoure ce dispositif. Contrairement à la tutelle ou à la curatelle, la loi ne précise pas toujours clairement ce que la personne habilitée peut faire ou non. Ainsi, les familles doivent souvent interpréter les règles au cas par cas, ce qui crée des doutes et parfois des blocages dans les démarches.

Enfin, l’application de la mesure dépend beaucoup du jugement du tribunal : certains juges l’accordent facilement, d’autres préfèrent rester prudents.

4. Des zones d’ombre sur la responsabilité et la durée de la mesure

L’un des grands flous de l’habilitation familiale concerne aussi la responsabilité du proche habilité. En cas d’erreur, d’abus ou de mauvaise gestion, les textes ne précisent pas clairement quelles sanctions peuvent s’appliquer, ni dans quelles conditions le juge peut intervenir. Cette incertitude peut décourager certains aidants à accepter ce rôle.

De même, la fin ou la modification de l’habilitation reste mal encadrée : tout dépend de la décision du juge, sans procédure standardisée, ce qui rend la mesure parfois difficile à adapter aux évolutions de la situation.

Bon à savoir : l’habilitation familiale est adaptée aux premiers stades de la perte d’autonomie ou à des troubles modérés. Cependant, lorsque l’autonomie diminue davantage, il est généralement conseillé de recourir à une curatelle, voire à une tutelle, qui offrent un encadrement plus strict et une meilleure protection du proche.

seniors choisissant entre l'habilitation et la tutelle

5. Un dispositif mal adapté à certaines situations

L’avocate générale à la Cour de cassation Anne Caron-Déglise rappelle qu’il est fortement déconseillé de recourir à une habilitation familiale lorsqu’il existe des désaccords dans la famille. Sans contrôle régulier du juge, la mesure peut être détournée au profit d’un « clan familial », notamment lors de décisions sensibles comme la vente d’un bien immobilier, un placement en EHPAD ou la gestion d’un compte bancaire.

Dans ces situations, les tensions risquent de s’envenimer et de nuire à la personne protégée. L’habilitation familiale doit rester un outil de confiance et de coopération, pas un instrument de pouvoir ou de règlement de comptes.

6. Un rôle exigeant au quotidien

Être habilité pour protéger un parent, c’est avant tout un geste d’amour. Mais cela s’accompagne parfois de choix délicats :

  • Faut-il vendre la maison ? 
  • Financer un EHPAD ? 
  • Accepter une opération chirurgicale ? 

Ces décisions, souvent prises seul, peuvent peser sur le moral.

Comme le rappelle Fabrice Gzil (Fondation Médéric Alzheimer), les aidants n’ont pas le soutien ou la formation dont disposent les professionnels. Peu à peu, la fatigue s’installe, parfois l’isolement aussi. L’habilitation repose sur la solidarité familiale, mais elle demande un vrai accompagnement pour ne pas laisser les proches seuls face à tout cela.

Bon à savoir : si vous avez besoin de soutien, des associations d’aidants existent, comme l’Association Française des aidants, qui propose d’ailleurs des modules de formation pour mieux comprendre la situation de son proche.

7. Un manque de transparence et de contrôle dans la gestion

L’un des inconvénients majeurs de l’habilitation familiale est aussi le manque de transparence. Contrairement à la tutelle ou à la curatelle, aucun compte de gestion annuel n’est exigé : le proche habilité gère librement les finances du parent protégé, sans contrôle régulier du juge. 

Cette liberté, bien que pratique, peut créer des problèmes au sein de la famille, surtout quand il s’agit de décisions importantes à prendre liées au compte bancaire, à un placement en EHPAD ou à la succession.

Autre aspect flou à souligner : la loi ne précise rien sur une éventuelle rémunération ou compensation pour l’aidant, ce qui peut, là encore, provoquer des conflits familiaux ou des soupçons d’abus.

Par exemple, si un proche habilité utilise une partie de l’argent du résident pour payer ses propres frais ou reçoit un paiement non encadré, d’autres membres de la famille pourraient penser qu’il profite indûment de sa position.

8. Des complications dans la gestion des successions

L’habilitation familiale peut aussi compliquer les questions de succession. Les actes réalisés par le proche habilité doivent être clairement documentés et justifiés pour éviter toute contestation.

Sans suivi, des héritiers pourraient contester la gestion du patrimoine, ce qui peut, encore une fois, engendrer des conflits familiaux et des procédures judiciaires longues et coûteuses.

Par exemple : si le proche habilité vend la maison du parent pour financer une place en EHPAD, mais sans en informer tous les héritiers ni fournir les justificatifs nécessaires, ces derniers peuvent contester la vente.

9. Des difficultés dans l’accès aux aides et au financement

L’habilitation familiale peut limiter l’accès aux aides financières ou aux dispositifs fiscaux. Certaines mesures nécessitent une preuve de gestion indépendante du patrimoine. Un proche habilité pourrait ainsi rencontrer des obstacles pour demander des aides sociales, des crédits d’impôt ou des subventions locales pour le parent protégé, rendant l’habilitation moins avantageuse que prévu. 

Par exemple, si votre mère vit en EHPAD et que vous gérez ses finances via une habilitation familiale (c’est-à-dire que vous payez ses factures, administrez ses comptes et prenez des décisions financières en son nom), vous pourriez ne pas pouvoir bénéficier d’un crédit d’impôt pour dépenses liées à la dépendance, car l’administration exige que ce soit la personne elle-même qui gère son argent de manière autonome.

En résumé, l’habilitation familiale a de nombreux avantages et offre une solution souple pour accompagner un proche vulnérable, mais elle n’est efficace que si la famille est unie et l’aidant prêt à assumer ses responsabilités.